Depuis quelques années, la place centrale de l’apprenant en tant que sujet se pose avec acuité dans le débat pédagogique, éducatif voire thérapeutique. Dans le champ pédagogique, le travail réalisé par Louis Not en 1977 distingue deux points de vue.
Le premier point de vue montre que le savoir est organisé de l’extérieur : c’est l’inculcation chez chaque apprenant de productions culturelles extérieures destinées à le former. La célèbre formule de Durkheim de « l’influence exercée par les personnes adultes sur celles qui ne sont pas encore arrivée à maturité » montre bien la densité du propos. On voit bien qu’il s’agit d’une hétéro structuration du savoir où il est aisé de saisir que ce qui est primordial c’est l’appropriation d’un code, d’un symbolique à tel point que dans une étude comparée des modes de domination certains aient pu parler de violence symbolique. Cette violence symbolique où l’on puit dire que l’instrumentalisation par le savoir, est une forme de colonisation, imposition de manière de penser avec des contenants de pensée, façonne un type d’hommes. La méthode catéchétique en illustre l’intention dans la mesure où il est question de transmettre des contenus pour (trans) former l’élève. Cela veut dire que c’est l’objet qui détermine toute la conduite pédagogique. Le terme d’objet définit tout ce qui appartient à l’univers symbolique : les signes ou les codes, les valeurs ou les modèles.
Dans cette première perspective le sujet est acteur en interaction. C’est l’objet qui s’exerce sur la personne et non pas la personne qui façonne l’objet. La personne assimile, s’accommode, incorpore, s’adapte. Au lieu de préconiser l’expérience des choses et du monde, ici c’est l’expérience des signes et des œuvres qui dicte l’instruction. Dans l’hétéro structuration c’est bien l’action de l’autre (l’Alter) qui est porteur de l’objet. Nous pouvons suggérer ici que l’altérité puisse être altérante lorsque le sujet a un rôle secondaire, c’est ce que nous nommons catéchétique, l’action du sujet y est réglée par discipline et fonctionne comme un moule sous-tendu par une autorité exerçant de haut en bas. L’exemplarité s’inscrit ici dans une dimension morale. Cette altérité peut par contre devenir habilitant lorsque l’Alter exerce une fonction maïeutique.
Le second point de vue privilégie non pas l’appropriation de l’instrument, mais sa construction. L’élève est l’artisan de cette construction, en exprimant des choix personnels. Il est sujet car il est source de l’action. L’objet est soumis à ses initiatives. L’objet est alors le lieu où l’apprenant vient loger une expérience de soi puisqu’il s’agit pour lui, de prendre conscience de ses sources pour en faire des ressources à investir dans les exercices qui lui permettront d’accéder à la connaissance. Mettons que connaître c’est naître avec, c’est enclencher un processus ontologique. Le sujet est alors un foyer d’organisation et de relation au sens où en parle Galvani. Il s’agit alors d’une auto structuration du savoir où le sujet établit un rapport personnel et singulier avec l’objet. L’action de soi est toujours réflexive.
Dans cette seconde perspective le sujet est auteur en transaction. L’objet est là pour aider le sujet à faire acte de symbolisation. « Chaque mise au travail de l’objet renvoie à une activité psychique de transformation » nous enseigne Bernard Chouvier. On voit ici que la transaction à travers l’objet met en mouvement des positions internes d’élaboration et des positions externes de transformation. On comprend alors que contrairement à l’idée de transmettre des contenus pour transformer il s’agit de co-construire un contenant pour aider l’élève à se (trans)former.
On voit que dans l’un ou l’autre de ces points de vue, ce qu’il importe de rechercher c’est la modalité la plus adaptée pour une approche individualisée qui tienne compte du style cognitif de l’élève. Les jeunes dont nous parlons ici relèvent de cette cohorte de jeunes chez qui précisément la modalité usuelle n’aura pas été perçue.
L’introduction des médiations permet-elle de corriger cette faille ? En quoi la remédiation, envisagée comme une approche clinique, facilite-elle la réappropriation par le sujet de son statut d’auteur ?
Mais avant tout, qu’entendons-nous par médiations ? – Un cadre où loger l’expérience de soi. Ce cadre est de prime abord un espace de l’entre deux, un intermédiaire puisque l’étymologie renvoie à cette caractéristique, un lien (entre un désir naissant et l’action générée par ce désir, entre la force et le sens, entre le non dit et l’exprimable car il y a des moments où des messages flous deviennent inaudibles à toute forme de verbalisation). La médiation crée des effets de langage là où la parole fait défaut. La médiation s’interpose, fait différence pour mieux articuler et mieux réunir. Ces premiers éléments de définition de la médiation nous rapprochent du concept de transitionnalité développé par Winnicott qui décrit un espace transitionnel permettant le compromis entre un pôle qui est situé dans l’objectivité, la réalité d’une activité et porteur dans un 1er temps de satisfaction immédiate puis, peu à peu, de manque, et d’un autre pôle situé dans la subjectivité, la réalité interne ou affective du sujet, ce que nous appelons transitionnalité interne porteuse de créativité. La médiation apporte une sécurité dans la mesure où elle permet par son effet contenant (Winnicott parlerait d’effet de holding) d’offrir une enveloppe rassurante. Cette sécurisation est apportée par les paroles, les attitudes, le climat. L’espace de médiation est un dispositif, un lieu de rencontre et de partage d’une activité qui va favoriser l’appropriation par le sujet de son espace corporel, psychique, social et relationnel. L’introduction d’un croisement de trois secteurs (soins, apprentissages, créativités) par l’Espace Claude Chassagny: se présente comme ce dispositif qui permet d’illustrer un peu plus la dimension prototypique du champ de l’intermédiaire.
Les médiations sont précisément éducatives lorsqu’elles permettent des transactions et des interactions nouvelles pour faire accoucher les jeunes d’eux-mêmes grâce aux médiations sémiotiques lorsque les actes de langage génèrent l’accomplissement des cognitions, ou des effets de sens par l’entremise de compromis de coexistence et d’ajustement mutuel (négociation et autorégulation), et lorsqu’elles engendrent des processus psychiques. C’est là qu’émerge la pédagogie de la transaction. Celle-ci est traversée par trois niveaux d’approche : la pédagogie du projet, la pédagogie différenciée et la pédagogie du contrat.
Et que entendre par remédiation ? – Un espace potentiel où les possibles sont débarrassés d’une multiplicité d’entraves donnant lieu à la mise en œuvre de processus de reliance. C’est le lieu de la réparation de soi, le lieu de la recomposition intentionnelle de soi. « La reliance est cette étonnante pulsion qui pousse à se chercher, à s’assembler, à se rendre à l’autre (Maffesoli, 1992). Elle est cette aspiration à reconnaître l’autre dans sa différence et sa personnalité, avec ses désirs, ses peurs, ses intérêts, aspiration à se rencontrer, à échanger avec lui, à être reconnu par lui, à vaincre l’angoisse de la séparation et à affronter celle de la rencontre (Bolle de Bal, 1986). » La remédiation introduit la clinique éducative. Il ne s’agit pas, ici, d’un simple travail d’interprétation stricto sensu, mais belle et bien d’envisager l’approche transdisciplinaire dans sa dimension soignante. Il ne s’agit pas seulement de considérer les actes du professionnel soignant (psychiatre, psychologue, orthophoniste, psychomotricien), mais d’une agrégation de compétences imbriquées, organisées au sein d’une institution, avec ses différents secteurs d’activités comme cela est proposé à l’Espace Chassagny. L’approche est transversale.
l’animation et la coordination des actions dans leur globalité en direction de l’adolescent et de sa famille,
des actions qui tiennent compte de la souffrance de l’entourage, celle des parents notamment
un accueil au quotidien qui ne néglige pas ce qui se passe dans les interstices de l’institution
l’évaluation et le réajustement des projets personnalisé
une continuité de prise en charge dans un parcours dynamique. Point de clinique du sujet qui ne soit soutenue par une forte reconnaissance et par l’institutionnalisation des outils et des enjeux. Pour que chaque enfant ne se perde pas dans une singularité soumise au malaise de la subjectivation, pour qu’il soit reconnu dans sa singularité sans s’y perdre, sans que la famille n’est le sentiment que leur enfant est soustrait des exigences de la socialisation, il importe que le dispositif joue son rôle de contenant, soit cohérent et sécurisant, harmonisé et dirigé. L’approche clinique est à la base même de chaque projet.
Les remédiations sont cliniques lorsqu’elles facilitent la mise en œuvre d’un processus de subjectivation pour réaménager les modes de relation à autrui. Cet aménagement est traversé par une triple clinique : la clinique du sujet, la clinique du rapport au savoir et la clinique éducative. Cet ensemble définit une herméneutique du sujet. Tout ne peut se lire que dans l’après coup à travers les cheminements rendus possibles par les réunions institutionnelles (synthèse, groupe clinique). Il ne s’agit pas non plus de venir avec une boite à outils pour développer une hétéro structuration, mais de développer des stratégies éducatives cohérentes pour construire un projet personnalisé qui intégrera les dimensions thérapeutique et pédagogique. Il s’agit bien de favoriser, avec l’aide du jeune, un itinéraire de vie s’appuyant sur la dynamique d’un parcours à viser socialisante.
Toute clinique éducative est assortie d’un travail de nomination. En nommant ses interventions l’éducateur définit ses compétences, ses propres frontières et celles du sujet. Par exemple lorsqu’il parle de travail d’écoute, de soutien, de médiation, d’orientation, d’accompagnement, d’accueil, de création, il mobilise toute la stratégie éducative requise. Chacune de ses nominations traduit non seulement des modalités, elles induisent aussi une action recherche. Une nomination est un énoncé qui intègre l’enfant dans un compromis de co-existence où les mouvements transférentiels ne sont pas éloignés.
Il n’y pas de sujet sans savoir et le sujet se fonde lui-même d’un savoir. On ne s’approprie jamais l’expérience des autres ni leur vécu. On ne connaît que les réponses qu’ils veulent bien donner même si on y trouve des réponses cachées à eux-mêmes. Chacun a tout un savoir connu de lui éphémère, non dicible, non transmis.
L’apprentissage a une fonction sécurisante dans la mesure où il ne laisse pas place à l’imprévisible des facteurs perturbateurs et déstructurants, ne rend plus l’angoisse inhibitrice, mais au contraire créatrice, à partir du moment où l’activité de pensée se déploie dans un espace circonscrit et qui se définit institutionnellement.
En ouverture de cette réflexion nous posons deux références (au même titre que lorsque nous demandons aux jeunes dans le blason d’autoformation de nous indiquer deux références).
La première référence : « La conquête du savoir se renouvelle chaque fois qu’il est exercé et que « la jouissance de son exercice est la même que celle de son acquisition ». Cette assertion nous la devons à Jacques Lacan qui pose là le principe de la formation expérientielle. Preuve que la médiation est là pour mettre en mouvement les sources du sujet. C’est dire que l’objet médiateur n’est pas un déjà là qui s’imposerait au sujet, il est le résultat d’une multiplicité d’opérations tantôt procédurales tantôt intuitives, tantôt muettes, tantôt verbalisées, tantôt métaphore tantôt réalité, suivant ou non des mouvements kinesthésiques, parfois symbolisables et non symbolisées. En tous les cas la médiation est génératrice d’un mouvement de réciprocité qui vient déconstruire toute temporalité linéaire issue d’une multiplicité de déterminismes, pour introduire une temporalité circulaire.
La seconde référence : « Si la question de la médiation revient avec insistance dans le débat contemporain, c’est probablement parce qu’elle exprime la nécessité dans laquelle nous sommes pris de traiter d’une manière nouvelle, aussi bien dans l’ordre de la vie psychique que dans celui de la culture, la question récurrente de l’origine, des limites, de l’immédiat, des transformations et, surtout, de la violence, dans sa double valence destructrice et créatrice. » C’est notre deuxième référence, nous la devons à René Kaës. Et cette fois l’assertion introduit la temporalité chère à Gaston Pineau notamment dans l’ouverture « des entre-temps d’où peut jaillir une temporalité personnelle, une histoire, une chrono génie ». Preuve que la médiation, en introduisant la transitionnalité, crée des zones de double communication : se démarquer et s’articuler. Ce qui importe ici c’est la prise de parole par une double opération repérée par Pineau de repliement réflexif et de dépliement narratif.
Si nous parlons de PEDAGOGIE, de MEDIATION et de REMEDIATION pour l’émergence d’une clinique éducative, c’est par ce que nous nous trouvons face à des jeunes réfractaires à toute pédagogie. Lorsque nous parlons de réfractaire à toute pédagogie, nous voulons simplement rendre compte du fait que ces jeunes qui ont subi une suite insistante d’échecs ne sont pas enclins à accepter des nouvelles propositions pédagogiques. Ils ont alors tendance à élaborer des mécanismes de défense protecteurs pour ne pas revivre des expériences d’échec. Cette réaction se reproduira à chaque situation d’apprentissage qui fait appel aux mêmes procédés et aux mêmes contenus, isolant le jeune de ce qui aurait pu lui offrir des nouvelles possibilités d’interaction. Si les jeunes en échec construisent de telles défenses, c’est probablement parce que l’hétéro structuration est ressentie comme un danger. L’autre est intrusif. C’est probablement par l’absence d’une médiation puissante, sémiotique. Nous avons entrepris ce questionnement anthropologique de la formation dans une problématique de la transaction interpersonnelle. «Notre choix de considérer l’acte de former à travers le concept de transaction se présente d’abord comme une étude du processus qui s’enclenche dans le face à face, entre soi et soi, soi et les autres, soi et les choses. Se faisant, nous voulons montrer qu’une transaction culturelle est nécessaire en matière de formation de jeunes en difficulté. La transaction est donc pour nous un échange doublé d’une négociation (silencieuse) qui déborde du contrat; elle induit un rapport de pouvoir mutuel qui se déroule dans une temporalité et se déploie dans une spatialité qui implique des acteurs dans leur corporéité et leur communicabilité qui se dégage d’un habitus culturel de départ pour laisser émerger des schèmes d’action spécifique à chaque situation vécue».
Nous nous situons dans la lignée de l’éthno-méthodologie notamment l’indexicalité, pour mettre en évidence les difficultés des jeunes que nous rencontrons depuis 1988. La nature paradigmatique des problèmes soulevés nous a amené à porter une attention particulière au discours sur le rapport au savoir des jeunes en difficulté. Ce discours est d’abord celui de l’institution à travers les bulletins scolaires. Ensuite il s’agit du discours du jeune lui-même à travers ses récits et ses portraits de configuration. Les problèmes des jeunes en difficulté sont vite apparus de nature pluridimensionnelle. Dans ce contexte notre approche ne peut être que transdisciplinaire dans la mesure où ce qui nous tient à cœur c’était de décoder le sens de ce qui est à l’œuvre dans l’échec, sa localisation et ses avatars. Nous nous sommes donc lancé dans une forme d’indexicalité et de réflexivité en nous appuyant sur ce qui est écrit. Quatre mouvements d’analyse se sont ainsi imposés à nous. A chaque mouvement nous avons découvert trois temporalités.
Le premier mouvement concerne la normalité. Nous sommes parti des bulletins scolaires, en relevant systématiquement ce qui est écrit dans deux rubriques : «appréciations et observations des professeurs» et «appréciations générales» Certains jeunes nous ont ramené plusieurs bulletins, un seul nous en a donné 12 pour les 12 trimestres depuis la 6ème. La plupart ont eu du mal à nous les montrer. D’autres encore nous les ont montrés après qu’une relation de confiance se soit établie. Au total notre travail repose sur 123 bulletins où nous avons prélevé 3640 occurrences exploitables. Dans chaque bulletin on voit que l’école dicte ses règles de fonctionnement, qu’elle évalue l’impact de l’instrumentalisation et qu’elle apprécie le degré de maturité de l’élève.
La répartition des occurrences a révélé que ce qui nous était offert là formulait un processus attributionnel selon trois temps. La normalité est adaptativiste : c’est la capacité de s’accommoder aux exigences de l’école ; la normalité est ensuite cognitiviste, c’est le moment de mesurer l’appropriation des connaissances ; elle est enfin constructiviste, c’est le temps de l’appréciation du niveau d’inscription.
Cette première approche nous a permis de faire un répertoire des difficultés. Nous avons repéré trois types de difficulté :
Difficultés dans les apprentissages par rapport aux objets apprentissages. Il s’agit alors d’examiner les différents types de rapport au savoir. Le jeune est confronté au fait d’apprendre. L’activité qui consiste à apprendre est connotée par la peur de ne savoir s’y prendre. Soit par ce qu’on pense qu’apprendre, c’est enregistrer : mémoire défaillante ? La question se posera parfois. Soit par ce que l’apprentissage est un cheminement qui aboutit à une appropriation.
Difficultés de mise en œuvre des apprentissages. Ici c’est l’étude des processus de pensée, des techniques & des méthodes, puis celle des difficultés relationnelles qui prime. Si l’on observe des pathologies instrumentales tel que les dyslexies, les dyscalculies, notons également les dysmorphophobies directement liées au fait qu’il s’agit singulièrement des adolescents mal dans leur corps qui ont parfois du mal à se fixer des tâches spécifiques notamment scolaires, on doit dire que le jeune n’est pas disponible. D’aucuns tel que B. Gibellonous enseignent qu’une problématique de contenant de pensée peut perturber les étayages de l’activité d’apprendre. Ceci s’ajoute aux observations de Serge Boimare « Lorsque l’élève ne connaît pas son environnement proche son histoire personnelle, ses racines, sa filiation, sa langue et les règles de communication avec l’autre, l’inscription des savoirs de base se fait sur du sable mouvant. » Dans cette figure de difficultés, nous parlons aussi de déficit en terme d’élaboration intellectuelle. On peut parler de stratégies cognitives pauvres avec des conduites d’évitement, des attitudes de prestance, le manque de curiosité, l’intolérance à la frustration, inhibition de la symbolisation
Difficultés d’investissement des apprentissages. Dans ce dernier registre, la compréhension des mécanismes de défense (refus, blocage, retrait, comportement symptomatique. rapport au savoir chaotiques, rapport à l’apprendre très précaire) apporte un éclairage qui va dicter et orienter la recherche de ré médiations : « Ce qui s’exprime dans le rapport au savoir (et à l’école), c’est l’identité même de l’individu, constellation de repères, de pratiques, de mobiles et de buts engagés dans le temps et prenant forme réflexive dans une image de soi. Mais cette identité n’est pas seulement exprimée dans le rapport au savoir, elle y est aussi en jeu : être confronté à un apprentissage, à un savoir, à l’école, c’est engager son identité et la mettre à l’épreuve » (Bautier et al.., p. 26). Le sujet se construit dans un tissu d’imbrications sociales. Son sentiment d’exister, il le tient de ses ajustements à autrui. L’individu s’imagine toujours dans le regard d’autrui à se dévaloriser : « L’autre n’est jamais chassé de la conscience du moi, il y reste toujours, tantôt compagnon, miroir ou partenaire, tantôt juge, complaisant ou sévère » (Tomé, 1972).
Ce répertoire des difficultés nous a conduit à examiner comment des jeunes, chez qui on aura observé une multiplicité de déliances, s’engagent dans un système auto poïétique. Ici c’est la réécriture de soi qui tient lieu de médiation sémiotique.
Deux mouvements sont ainsi mobilisés : le rapport au savoir et la formation.
Le second mouvement est le rapport au savoir dans lequel nous avons trois temps : le rapport social au savoir s’institue d’abord comme une médiation, c’est-à-dire comme un acte institué pour structurer les relations des acteurs entre eux et pour créer les conditions d’un apprentissage; ensuite le rapport épistémique au savoir quis’envisage comme médiatisation. C’est le processus selon lequel tout sujet qui se retrouve aux frontières d’une organisation se met à développer un « agir communicationnel » et un « agir stratégique » (Habermas, 1987) pour appréhender la réalité devant laquelle il doit se déterminer, dans le but d’établir un lien social et donc de nourrir sa socialité ; et enfin le rapport identitaire au savoir qui est de l’ordre du Soi, c’est-à-dire un processus d’individuation, notamment une subjectivation.
Le troisième mouvement est la formation : là aussi à trois temps. La formation est auto structurée, hétéro structurée et éco structurée.
Dans ces deux mouvements , rapport au savoir et formation, notamment consacré aux processus d’émergence de sources et des ressources du sujet, d’abord pour déceler ce qui instaure les blessures d’apprendre, et ensuite pour valoriser les atouts du sujet, nous avions identifié l’auto formation comme le point nodal de la socialisation. L’auto formation nous fait prendre conscience que le rapport au savoir est à la fois un rapport de découverte et un rapport de mise en sens. S’il est générateur d’interactions, c’est d’abord pour donner l’occasion au sujet de manifester un désir de recomposition de soi. C’est tout l’objet de cette étape de notre réflexion qui va être pour nous l’occasion de mettre à l’épreuve deux outils qui favorisent la réactualisation de l’image de soi : le blason d’auto formation et la bio scopie permettent un travail de reconstruction et d’ordonnancement et redonnent au sujet toute sa lucidité.
Cela nous conduit naturellement au quatrième mouvement qui concerne les transactions. La transaction crée du lien, des formes et assigne du sens. Pineau avait identifié deux grands types de transaction : les transactions inter organisationnelles et les transactions vitales, nous y ajoutons les transactions interpersonnelles.
La pédagogie de la transaction apparaît ainsi peu à peu. Il fallait que nous mettions en perspective tout le travail de terrain en insistant sur les multiples transactions interpersonnelles nouées depuis l’arrivée du jeune dans l’exploration réciproque de la demande et de l’offre possible, de l’articulation entre les deux par le contrat et du suivi d’un projet co-construit. L’utilisation du blason, outil projectif comme support à une certaine forme d’expression des jeunes nous a permis d’explorer les différents processus transactionnels qui nourrissent l’auto formation. La pédagogie de la transaction trouve là toute sa puissance d’effectuation en ce qu’elle met en œuvre les médiations sémiotiques.
La pédagogie est le lieu de la recomposition intentionnelle de soi. Il fallait y expérimenter la transaction entre la demande et l’offre de formation. En ces temps de fragmentation culturelle, où les temporalités individuelles se heurtent aux frontières des institutions et vacillent, où l’autonomie du sujet fait problème, on découvre que l’auto formation rend compte de toutes les effervescences du sujet. Nous décrivons les processus par lesquels les jeunes en difficulté passent pour devenir « s’auto formant », et tenter une ré écriture de soi, une recomposition de soi pour se dégager de ces temporalités où ils restent encore hésitant entre la peur d’apprendre et la valorisation de soi. L’entre- deux est une épreuve.
L’entre–deux d’une demande et d’une offre de formation nous permet de mettre en perspective la transaction interpersonnelle et de mettre en pâture ce qui est à l’œuvre à l’origine de ce partage que J.M. Labelle appelle réciprocité éducative et que nous nommons à la suite d’autres (Pineau, Galvani, Carré, Dumazedier) l’autoformation assistée. Et pour explorer ce qui se joue dans l’entre-deux, nous nous sommes non seulement appuyés sur 30 blasons d’auto formation, en exploitant l’ensemble des items à la mode de Garfinkel, Pharo et pourquoi pas Husserl, en utilisant l’indexicalité et en adjoignant la méthode documentaire d’interprétation, c’est à dire en construisant des « patterns » visibles et lisibles.
Lorsque la demande se déploie, nous découvrons cette phase de l’auto formation où le sujet opère un retour sur soi. Lorsqu’il réalise un blason d’autoformation, le jeune en difficulté s’affronte à ses propres origines pour s’y retrouver et pour s’en dégager. Il instaure un dialogue entre ses deux identités : une identité silencieuse, celle qui aura été aliénée par les systèmes institutionnels (école, famille, église, etc.…) et celle d’une image où les messageries, les liaisons et les dé liaisons l’on conduit à des échecs (scolaire, professionnel, familial, social). Dans cette réactualisation de l’image de soi que nous appelons demande, il s’agit de surplomber les manques, les failles, les épreuves qui lui viennent de cette autre image qui reflue sur lui pour devenir un autre lui-même : « altéré de soi ». Surplomber cette altérité altérante c’est démentir une réalité qui n’est pas soi ; c’est la réfuter. La demande devient une réfutation par une historicisation qui fait retour à ses propres origines. Ce processus définit un souci de soi.
La traduction du souci des jeunes en difficulté se matérialise dans la construction d’un projet. Ce souci de soi instaure un mouvement de réconciliation qui engagera un processus de construction d’un projet entre idéalité et pragmatisme pour se dégager de ses propres mécanismes de défense. On assiste à une oscillation entre la fonction de l’auto et la fonction de l’alter. L’offre est le foyer de l’intentionnalité, intentionnalité qui se déploie dans ce que nous avons appelé transaction interpersonnelle, contribution à ce que Cyrulnik appelle recomposition intentionnelle pour raviver la flamme de l’estime de soi.
Au départ de notre réflexion nous avions à relever un double défi : la création d’espaces de possibles pour lasocialisation des jeunes en difficultés multiples. A l’arrivée nous rejoignons à nouveau Pineau dans cette préoccupation qui devient majeure pour nous : construire du sens à partir d’expériences vécues, sens à dévoiler dans ce qui est en friche chez chaque sujet, sens à accompagner pour que le sujet cherche à se transformer lui-même, à se modifier dans son être singulier et à faire de sa vie une œuvre
Médiation et REMEDIATION
Lorsqu’on parle de pédagogie différenciée on cherche à résoudre le problème de l’hétérogénéité dans un groupe d’élève. Chaque élève est singulier tout à la fois dans ses dispositions que dans sa disponibilité à jouer le jeu qui lui est proposé. Il a son style propre. Il peut ou ne pas manifester de l’intérêt pour une activité. Mais la pédagogie différenciée se préoccupe également et à la fois de l’efficacité et de l’égalité, c’est-à-dire qu’elle doit permettre à chacun d’aller au bout de ses possibilités, autant à celui qui bute devant l’obstacle qu’à celui qui est sur la voie de la réussite.
En fait, il y a médiation lorsque l’élève prend conscience des bénéfices de la pédagogie différenciée. Il se découvre sa propre manière de faire ou la manière de faire des autres (travail de métacognition). Et lorsque nous affirmons que la médiation est « Un cadre où loger l’expérience de soi. », nous voulons précisément insister sur le fait que dans toute circonstance, l’élève a des atouts à faire valoir.
La remédiation s’impose lorsque l’élève réalise qu’il a besoin d’autrui et qu’il n’arriverait pas à faire seul un travail. On a alors recourt à la zone proximale de développement initiée par Vigotzky. La zone proximale de développement, c’est la différence entre ce que peut faire l’élève seul et ce qu’il arrive à faire aidé par le maître, ou le groupe ou un élève qui sait faire.
Quand on travaille sur l’erreur :
médiation (travail de métacognition)
remédiation (travail dans la ZPD)
« La conceptualisation de la médiation, l’affirmation de l’origine sociale des fonctions mentales supérieures, l’analyse du rôle décisif des transmissions sociales dans le développement de l’être humain sont autant de thèmes développés par Vygotsky et Bruner. »
« Sans socialisation il n’y a pas de développement de l’intelligence. »
« La ZPD marque ce qui peut constituer la prochaine étape de son développement actuel pour peu qu’une interaction sociale (avec un adulte ou des pairs plus avancés) soit initiée. »
« Du social (médiation) vers l’individuel (développement actuel) :
Le médiateur doit situer son intervention dans la zone proximale de développement pour permettre à l’enfant de dépasser ses compétences actuelles grâce à une action conjointe avec le médiateur ou avec d’autres enfants. »
« Le médiateur doit également permettre l’intériorisation des procédures acquises dans l’interaction sociale pour que l’enfant puisse les mettre en oeuvre de façon autonome, c’est à dire les intégrer dans le développement actuel. »
Voici une séance de médiation :
1. poser le travail dans le temps, qu’est-ce qu’on a fait la dernière fois… faire intervenir la mémoire et resituer l’apprentissage
2. donner une première consigne en indiquant le contexte pour faire ressurgir les représentations au groupe classe
3. consigne + claire : s’assurer que tout le monde a compris
4. travail individuel : s’arrêter quand les + rapides en sont au milieu du travail
5. travail de métacognition : comment j’ai fait, qu’est-ce qui m’a empêché, mes erreurs et pourquoi, explications par les pairs…
6. reprise du travail en différents groupes (dans la ZPD)
– soit l’élève continue seul mais peut demander de l’aide à son voisin
– soit groupes homogènes pouvant fonctionner seuls
– soit groupes hétérogènes avec tuteurs élèves
– soit groupe avec l’enseignant comme tuteur
7. les élèves rendent une feuille par groupe
en groupe d’adaptation :
On peut travailler jusqu’au n°5. Pour observer les élèves et leur proposer une séance de remédiation la fois d’après :
1. un groupe AIDE pour les élèves les + en difficulté, la fiche sera composée en 2 parties, une partie où les élèves travaillent avec le maître et la suite où les élèves travaillent seuls (tjrs ds leur ZPD)
2. Groupe de CONSOLIDATION fiche différente
3. Groupe PROLONGEMENT pour ceux qui savent faire seuls dans le 1, il y a étayage par le maître, dans 2 et 3, il y a étayage par le groupe… toujours travailler dans la ZPD quand le maître a fini de travailler la première partie de la fiche avec le groupe aide, il peut aller aider les 2 autres groupes…* Thèse de Doctorat soutenue à l’Université Charles De Gaulle de Lille 3, le 10 décembre 2003 devant MM les Professeurs : Jean Marie Breuvart, Philosophe, président du jury, (université catholique de Lille), Francis Danvers, Psychologue, directeur de thèse, Jean Claude Grubar, Psychologue, (université de Lille 3), Jacques Fortin, Pédiatre, (université de Lille 2), Gaston Pineau, Formateur, co-fondateur de l’association internationale des histoires de vie en formation (université François Rabelais de Tours) L’accompagnement dans tous ses états, Éducation Permanente, n°153, pp.57-68, p.63 2 Lacan J., Encore, Le séminaire L.XX, Paris, Seuil, p. 89 3Kaës René, Médiation, analyse transitionnelle et formations intermédiaires in Bernard Chouvier et al., Les processus psychiques de la médiation, Dunod, 2002, p. 15 Gibello, B. (1984), L’enfance à l’intelligence troublée, Paris, Ed. Centurion.Gibello, B. (1995), La pensée décontenancée, Essai sur la pensée et ses perturbations, Bayard édition, coll. Cogito. Boimare, S. (2000, 2°éd.), L’enfant et la peur d’apprendre, Paris, Dunod 4 Boimarre S, L’enfant et la peur d’apprendre, Paris, Dunod, 1999 5 Sibony, D., Entre-deux, l’origine en partage, Paris, Seuil, 1991 6 Coulon A., L’éthnométhodologie, PUF, 1987, p.54 7 Sibony, D., Entre-deux, l’origine en partage, Paris, Seuil, 1991, p.254 8 Foucault , M., La volonté de savoir, Paris Gallimard, 1976 p.12, cité par Pineau, 1998, p.13